L’avant-projet de loi en phase de rédaction au gouvernement révèle jour après jour ses petits secrets, ou problèmes.
On le sait, pour l’identification des abonnés dont l’adresse IP aura été repérée par les ayants droit, au besoin automatiquement, des agents publics, désignés par le ministre de l’Économie et celui de la Culture vont être dotés de pouvoir hors normes.
Des supers pouvoirs pour les « agents publics »
Ils pourront avoir accès aux données stockées par les FAI. Mais il y a mieux : ils pourront encore convoquer et entendre « toute personne susceptible de leur fournir des informations » pour les nécessités de la procédure. De même, ils pourront accéder aux locaux professionnels pour accélérer les traitements. Ces agents se rendront par exemple chez Free afin d’exiger la communication de toutes les données attachées à un abonnement, et dont la conservation est obligatoire. La Haute Autorité et la commission de protection des droits composée d’agents cumuleront ainsi les fonctions de police et de justice, confortablement.
De simples courriels, plutôt que les lettres recommandées
Une fois les données glanées, pourra être organisée la célèbre riposte graduée, pierre angulaire du système Olivennes.
Là, un problème qui n’a pas été encore mis en avant jusqu’à présent, est celui de la méthode de communication. L’abonné sera averti par simple courriel si sa ligne est utilisée par des contrefacteurs présumés. En cas de récidive, un second message d’avertissement suivra toujours par email et si rien ne change, suivront suspension et résiliation. Ce mécanisme de sanction, car c’en est un, fait peu cas des rigueurs formelles habituelles (lettre recommandée avec accusée de réception). Quelle sera la situation de l’abonné Neuf qui n’a pas souhaité utiliser le mail @Neuf.fr attaché à son abonnement, préférant un compte Yahoo ou Gmail ?
Contourner la riposte, en changeant le nom de l’abonné
La riposte est imparfaite : en cas de résiliation, c’est le nom de l’abonné qui entrera dans une liste noire dont la CNIL hérite de la gestion. Les FAI auront l’obligation de vérifier « avant de conclure tout nouveau contrat portant sur la fourniture d’un tel service, si le nom du cocontractant figure sur le fichier » explique la loi en gestation. Un foyer de plusieurs personnes devrait en théorie pouvoir se réabonner en changeant simplement le nom de l’abonné principal.
Les mesures de la riposte graduée seront indiquées dans les contrats d’abonnement et exigeront ainsi un avenant de tous les contrats en cours.
Trois moyens d’échapper à la riposte graduée
Un article de la loi DADVSI va être profondément remanié. C’est l’article L. 335-12 du code de la propriété intellectuelle et selon lequel l’abonné doit veiller à ce que son accès ne soit pas utilisé pour effectuer des contrefaçons sur le réseau. Il a l’obligation de mettre en application les moyens de sécurisation proposés par son FAI. Dans sa version remodelée, l’abonné pourra échapper aux sanctions s’il :
- Rapporte l’existence d’un événement de force majeur (événement « imprévisible, irrésistible et extérieur », aucun exemple donné, mais on peut imaginer que l’ouverture d’une ligne par le FAI au nom d’un mauvais abonné fait parti de ces cas de force majeur)
- Prouve l’entrave par un tiers (aucun exemple donné, cheval de Troie ?)
- Démontre avoir mis en œuvre de façon « adapté » les moyens de sécurisation « efficaces » proposés par le FAI.
L’abonné sera donc présumé pirate si son IP est tracé sur un réseau P2P, mais il aura donc trois voies pour échapper à la riposte graduée et donc à la résiliation. Ce n’est pas à l’abonné de choisir sa meilleure protection puisqu’un simple arrêté va définir « la liste des moyens de sécurisations présumés efficaces ».
On ne sait pas si la liste sera exhaustive ou non, mais dans ce cas, il sera fortement conseillé de choisir les moyens de filtrage prônés par le gouvernement. D’ores et déjà, les implications sont importantes pour les éventuelles solutions commerciales qui sont choisies par les ministres. La présomption d’efficacité sera sans nul doute simple : l’ayant droit pourra toujours tenter de démontrer que telle solution n’est finalement pas « efficace » pour éviter la tentation P2Piste.
Conservation des logs au service des majors
Enfin, signalons que le texte en préparation prévoit bien de forcer les FAI à conserver pendant un an les données techniques permettant l’identification des abonnés afin de lutter contre l’échange illicite. La conservation de ces données perd aujourd’hui sa justification initiale antiterroriste pour pénétrer à plein régime le terrain de la lutte contre le téléchargement illicite. Un décret en Conseil d’État définira la liste des données à conserver et leur durée respective de conservation (Ip, pseudo, matériel utilisé, mot de passe ?). Ces données pourront être nominatives au profit de la Haute Autorité, alors qu’auparavant seule l’autorité judiciaire pouvait en bénéficier.
On ne sait pas à ce jour ce qu’en dira le Conseil Constitutionnel d’un tel dispositif, les réserves éventuelles pouvant de toute façon être gommées à coup d’avis de la Cour de cassation…