P2P Olivennes

Les conséquences du rapport Olivennes

Tom’s Guide vous propose une analyse complète et détaillée du sulfureux rapport Olivennes. Rappelons que ce rapport rendu fin 2007 par le PDG de la Fnac doit être à la base de la future législation sur le piratage en ligne. Nous vous proposons de passer au peigne fin ses conclusion et de les confronter aux réactions (parfois virulentes) d’une avocate spécialisée et de l’association UFC-Que choisir. Les FAI ont été quant à elles, vous le découvrirez, plus discrètes. Découvrez en tout cas si ces les mesures préconisées par le rapport Olivennes vont être faciles ou non à mettre en place.

1. Le P2P aujourd’hui

Publicité SNEP P2P

Une publicité du SNEP contre le P2P

En 2007, l’institut de sondage allemand Ipoque a estimé que le P2P représente entre 50 et 90% de l’utilisation du trafic Internet. Cette statistique montre à elle seule l’importance que cette pratique a prise dans le monde entier.

Devant ce phénomène, qui est essentiellement porté par l’échange illégal de fichiers protégés par le droit d’auteur, le gouvernement a décidé de réagir en confiant à Denis Olivennes un rapport sur cette problématique.

Le gouvernement s’en charge

Sarkozy culture piratage

Nicolas Sarkozy expose ses idées sur le piratage

« Si on continue comme ça, on va tuer la culture », a affirmé Nicolas Sarkozy en juillet 2007, lors d’un conseil des ministres dédié au téléchargement sur Internet. Depuis ce jour, ce qui n’était qu’une pratique peu avouable entre internautes cachés est devenu une affaire d’État. C’est ainsi que Denis Olivennes, président de la Fnac, s’est vu contacté par le ministère de la Culture afin de dresser un rapport sur le piratage en France et de proposer des solutions potentielles.

Denis Olivennes a donc rencontré plusieurs intervenants de ce secteur, notamment des fournisseurs d’accès, des associations de consommateurs et des sociétés de défense des droits d’auteurs. Après des semaines de débats et de discussions, il rédige un rapport qu’il rend au gouvernement.

Dans ce rapport, plusieurs mesures ne tardent pas à choquer, notamment la suspension, voire la résiliation du contrat des téléchargeurs les plus réguliers. Mais qu’en est-il en réalité ? Nous avons décidé de décrypter les grandes lignes de ce rapport, avec l’aide d’une avocate spécialisée dans les nouvelles technologies, et nous avons demandé leur avis aux principaux FAI et à l’UFC-Que choisir sur ces nouvelles mesures.

2. Le rapport qui met le feu aux poudres

Denis Olivennes

Denis Olivennes, PDG de la Fnac

Le rapport de Denis Olivennes pourrait se résumer en une seule phrase : « rendre plus difficile et plus coûteux le téléchargement illégal, et, inversement, plus facile et moins cher le téléchargement légal ». C’est en suivant ces deux principes que le président de la Fnac a rencontré plusieurs intervenants pour discuter du sujet du piratage en France et de ses solutions.

Nous avons bien sûr contacté Denis Olivennes pour qu’il nous parle plus en détail de sa vision du sujet et de son rapport, mais celui-ci « préfère ne plus répondre aux demandes concernant sa mission pour le ministère de la Culture, sur laquelle il s’est beaucoup exprimé lors du rendu de son rapport ».

Vers une politique de dissuasion

eMule

eMule sous l’oeil de la justice

Pour contrer le piratage sur Internet, le rapport se base sur une méthode « privilégiant des dispositifs proportionnés et évolutifs », soit en d’autres termes une « riposte graduée ». C’est donc non sans prudence et lucidité (le rapport précisant qu’il est « illusoire de considérer que toute forme de piratage sur Internet puisse être arrêtée ») que le texte préconise dans un premier temps l’envoi d’un e-mail aux téléchargeurs pris sur le fait. Ce constat passe avant tout par une surveillance des réseaux, que la Cnil vient d’autoriser auprès des organismes de défense des droits d’auteur, par exemple. Ces e-mails, loin d’être répressifs, ont avant tout pour but « d’enclencher une prise de conscience » auprès de l’internaute.

L’étape suivante est un peu plus sévère pour les récidivistes. Si un internaute qui a déjà été averti par e-mail est pris une nouvelle fois en flagrant délit de piratage, c’est à une suspension temporaire de son abonnement à Internet qu’il s’expose. Cela commence par « l’envoi dissuasif de mises en demeure » par lettre recommandée, la sanction s’effectuant ensuite sous contrôle d’un juge. Elle va de la suspension de l’abonnement (la mission préconise 10 à 15 jours de suspension) à sa résiliation complète. Afin d’éviter qu’un internaute dont l’abonnement a été résilié ne puisse contourner cette mesure, celui-ci peut être fiché dans un dossier qui contient ses coordonnées et qui l’empêche d’ouvrir un nouvel abonnement chez un autre opérateur.

Développer l’offre légale

manifestation olivennes

Une manifestation contre la mission Olivennes

Plusieurs mesures énoncées visent également à rendre l’offre légale plus attractive, et ainsi à détourner l’attention des internautes de l’offre de téléchargements illégale. Le but est de « freiner voire arrêter le réflexe des nombreux internautes insatisfaits des conditions actuelles de l’offre légale de recourir systématiquement au téléchargement illicite ». Pour cela, la première idée consiste à calquer le rythme des sorties de films en VOD sur celui des DVD, c’est à dire six mois après la arrivée en salle. Ceci est une bien maigre mesure pour contrer le téléchargement de films, mais elle trouve sa justification dans le fait que le développement de la VOD en France peut contribuer à endiguer le piratage d’œuvres cinématographiques. Rien, en revanche, n’est évoqué sur le prix de cette technologie, que beaucoup jugent encore élevé.

L’autre mesure, qui résulte de longs débats, concerne la suppression des DRM pour les œuvres musicales. « Le manque d’attractivité de l’achat en ligne d’œuvres musicales est très lié aux contraintes d’utilisation que les mesures techniques de protection imposent », explique le rapport. À cause des DRM, il est impossible de transférer un fichier sur n’importe quel baladeur ni même de le lire avec le logiciel de son choix. Pour cela, le rapport préconise de passer « tous les catalogues d’œuvres françaises en ligne sans mesure technique de protection » et de « négocier des augmentations du nombre d’œuvres étrangères disponibles sans verrou numérique ».

3. Le filtrage des données est-il légal ?

Murielle Cahen avocate

Maître Murielle Cahen

Nous avons pu nous entretenir avec Maître Murielle Cahen, avocate spécialisée dans les nouvelles technologies.

Elle a accepté de répondre à nos questions et nous donne son point de vue sur ce rapport ainsi que les raisons pour lesquelles certaines mesures sont inapplicables en l’état.

Le filtrage des adresses IP

Où en est-on de la législation en matière de filtrage des URL et des adresses IP ?
Selon l’article L 336-1 CPI, le président du TGI, statuant en référé, peut ordonner sous astreinte toute mesure nécessaire à la protection du droit d’auteur et des droits voisins lorsqu’un logiciel est « principalement utilisé pour la mise en œuvre d’objets protégés ». Selon l’article 6-I-8 de LCEN les ayants droit peuvent saisir l’autorité judiciaire pour prescrire en référé à un prestataire technique toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné, ce qui peut inclure, le cas échéant, un blocage d’accès à un site. En d’autres termes, un filtrage est possible mais doit être autorisé par le juge.

Combien de temps ces données sont-elles conservées par les FAI et sous quelles conditions doivent-ils les communiquer à la justice ?
Selon l’article L 34-1 du Code des postes et des communications électroniques, les FAI doivent conserver les données pour une période d’un an. Ces données portent « exclusivement sur l’identification des personnes utilisatrices des services fournis par les opérateurs, sur les caractéristiques techniques des communications assurées par ces derniers et sur la localisation des équipements terminaux. Elles ne peuvent en aucun cas porter sur le contenu des correspondances échangées ou des informations consultées, sous quelque forme que ce soit, dans le cadre de ces communications. La conservation et le traitement de ces données s’effectuent dans le respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. »

Deux poids, deux mesures ?

Sur quelle base définir la « gravité » de l’infraction ? Quelle est aujourd’hui la jurisprudence en France en la matière ?
Pour définir les actes de téléchargement, on se base sur le délit de contrefaçon de droit d’auteur. Actuellement les juges condamnent les internautes qui téléchargent à des amendes avec sursis assez minimes (entre 500 à 2000 euros maximum) mais à des dommages et intérêts qui peuvent être assez importants selon le nombre de fichiers téléchargés, de 10000 à 20000 euros.

En l’état actuel des choses, un internaute peut-il porter plainte et demander légitimement à ce que son débit soit ramené au plus fort ? Est-il dans son droit ? Auriez-vous les armes pour défendre une telle personne ?
En l’état actuel du droit, un internaute peut porter plainte et demander légitimement que son débit soit ramené au plus haut pour différente raison : violation de sa vie privée et violation des droits de la défense.

4. Des mesures inapplicables

Pirate Bay

L’accueil de The Pirate Bay

Nous avons questionné Maître Murielle Cahen, sur l’applicabilité de ces mesures, et vous allez le constater, là tout se complique.

Dans le rapport Olivennes, les FAI sont invités à brider la connexion Internet de leurs abonnés prix en flagrant délit de piratage. Est-ce légalement recevable ?
Actuellement, plusieurs dispositions légales empêchent la suspension de la connexion à Internet. La Cour européenne des droits de l’homme rappelle de manière constante que toute atteinte aux libertés individuelles est une sanction qui ne peut être prononcée qu’à l’issue d’un procès équitable.

De plus, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°2006-540 du 27 juillet 2006 a censuré plusieurs articles de la loi DADVSI, et émis des réserves d’interprétation. Surtout, à plus d’une reprise, le Conseil constitutionnel a rappelé les limites de l’intervention des « autorités administratives indépendantes », le rôle incontournable du juge pour toute remise en cause des droits individuels, la nécessité de justifier d’une stricte proportion en une atteinte aux libertés et les buts recherchés en termes de défense de l’ordre public. En d’autres termes, ce projet est contraire à la convention européenne des droits de l’homme à la Constitution et aux droits de la défense.

Une radiation d’un FAI, suivie d’une impossibilité de se réabonner chez un concurrent pendant un certain temps (restant à définir) fait aussi parti des projets de ce rapport. Là encore, est-ce légalement recevable ? Quid dans le cas où il s’agit d’une connexion internet professionnelle ? Serait-ce alors à rapprocher de la juridiction concernant le permis de conduire (supprimer à des personnes dont c’est un outil de travail) ?
À mon avis, il serait peut être possible d’attaquer le FAI pour violation du contrat le liant à son abonné, et ce d’autant plus qu’il s’agirait d’une connexion professionnelle.

Le juge, seul habilité à sanctionner

Qui devrait pouvoir avoir le droit de prendre ce type de sanctions ? Le FAI ?
À mon avis, seul le juge devrait pouvoir prendre ce type de décision , mais dans ce cas de figure les tribunaux seraient submergés.

Quels autres types de sanction pourrait-on imaginer ?
Une amende dissuasive ou une peine d’intérêt général.

D’une manière plus générale, toutes ces mesures peuvent-elles être mises en place et appliquées en l’état actuel de la législation ? Si non, que faut-il changer ? Pour résumer, est-ce que de telles dispositions peuvent être prises dès cette année ?
Il faudrait modifier l’article 34-1 du code des postes et des communications électroniques pour autoriser les fournisseurs d’accès à conserver, pendant un délai limité, des données de connexion relatives au trafic, modifier aussi l’article 9 de la loi n° 78-17 pour autoriser les FAI à constituer un fichier et à conserver des données nominatives. Il faudrait une harmonisation d’un point de vue européen en posant des exceptions aux droits de la défense. Donc de telles mesures seront difficilement applicables dès cette année.

5. Les FAI frilleux

free stockage

Stockez vos fichiers avec Free

Le rapport constitué par Denis Olivennes prévoit une étroite collaboration avec les fournisseurs d’accès à Internet. En effet, il est indiqué que ceux-ci vont devoir fournir un contact pour chaque abonné destinataire d’un message d’avertissement, mais surtout qu’ils vont être tenus de suspendre, voire de résilier le contrat de certains gros téléchargeurs. De toute évidence, cette mesure n’est pas à l’avantage des intérêts des opérateurs, qui risquent d’être forcés de couper les lignes de nombreux abonnés.

Les fournisseurs ne se mouillent pas

Nous avons donc contacté plusieurs FAI pour leur demander leur avis sur ces décisions, et la manière dont ils comptent les appliquer ou non. Fausse surprise : aucun d’entre eux n’a souhaité nous donner de détail sur cette mission. Orange « ne souhaite pas s’exprimer tant qu’aucune loi n’a été votée », tandis que Free « ne communique pas sur ce sujet ». Tous sont frileux à ce propos, et attendent surtout de voir comment va se profiler une éventuelle loi, dans laquelle certaines mesures pourraient être modifiées, voire disparaître complètement.

orange

Le portail d’Orange

Pourtant, les fournisseurs d’accès étaient tous (à l’exception de Free) présents lors des débats organisés par Denis Olivennes. À l’issu de ces débats, l’Association des Fournisseurs d’Accès (AFA) s’est déclarée favorable à une riposte graduée à l’encontre des téléchargeurs. Plusieurs suggestions ont d’ailleurs transpiré de ces débats, comme la mise en place de leurres sur les réseaux P2P.

Aujourd’hui, chacun se confond dans un mutisme surprenant, mais compréhensible. Ils attendent aujourd’hui une évolution du côté du gouvernement et l’éventuelle promulgation d’une loi qui risque de chambouler bien des habitudes, chez les FAI comme chez les internautes.

6. L’UFC-Que choisir très critique

UFC Que Choisir

Le site de l’UFC Que Choisir

Au lendemain de la publication du rapport de Denis Olivennes, l’UFC-Que choisir a publié à son tour une sorte de contre-expertise des discussions entretenues avec le chargé de mission. Déjà lors des débats, l’association de consommateurs s’est montrée fermement opposée à toute forme de répression à l’égard des internautes. C’est une position qu’elle réaffirme dans ce rapport, qui émet une critique virulente des mesures préconisées par la mission Olivennes.

Les raisons du piratage selon l’UFC

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Des Heroes du P2P

« Plus l’individu est prêt à payer pour des originaux alors qu’il peut obtenir leurs copies, moins il sera tenté par le copiage et moins son activité de copiage sera intense », explique l’UFC-Que choisir dans son rapport, publié suite à ses discussions avec Denis Olivennes.

L’association de consommateurs essaie d’abord d’expliquer les principales raisons du piratage. On y lit notamment que « le comportement de copiage est en premier lieu un comportement d’imitation des autres », ce qui explique le caractère épidémique de ce phénomène en France. Une autre remarque, plus surprenante, indique par ailleurs que « le fait d’acheter des CD et des DVD augmente la probabilité d’être copieur ». Par cette phrase, l’UFC explique qu’une personne copie lorsqu’elle s’intéresse déjà à la musique, alors qu’à l’inverse l’utilisation du P2P n’a pas d’influence sur l’achat de CD et de DVD. L’association note également que « l’intensité du copiage augmente avec le désir d’accéder à une plus grande diversité de titres » ou encore que « l’idée que le copiage ne respecte pas le travail des artistes et peut menacer leurs revenus n’est nullement affectée par la perception du risque juridique ou technique associée à cette pratique ». En d’autres termes, s’ils sont généralement conscients des enjeux financiers, les utilisateurs du P2P ne se sentent pas directement menacés juridiquement.

L’UFC critique les propositions du rapport

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Le film le plus téléchargé en 2007

La riposte graduée a suscité beaucoup de réactions sur Internet comme ailleurs, et les commentaires de l’UFC-Que choisir à ce propos les illustrent parfaitement. Jugée « très difficilement praticable d’un point de vue juridique », celle-ci est remise en cause par l’association. « Ce projet vise clairement à masquer une sanction pénale », affirme le rapport avant de souligner que « l’envoi de messages électroniques aux internautes identifiés comme ayant échangé des contenus illicites sur les réseaux de Peer-to-Peer doit être strictement interdit ».

Enfin, le rapport de l’UFC dénonce tout simplement le « non-respect des garanties fondamentales en matière pénale ». En qualifiant la riposte graduée de sanction pénale, elle en profite pour pointer du doigt plusieurs manquements dans le rapport Olivennes, comme une « atteinte à la présomption d’innocence » ou encore le « problème de l’imputation de l’infraction », à savoir qu’il n’est pas toujours possible de prouver avec précision que l’abonné (la personne à qui appartient la ligne) est bien la personne qui télécharge sur le P2P.

7. Le P2P a-t-il un avenir en France ?

police piratage emule

eMule dans de beaux draps !

La question qui vient logiquement à l’esprit à l’issue de ce rapport est donc la suivante : quel est l’avenir du P2P et de ses utilisateurs en France ? Pendant des années, les adeptes du téléchargement illégal n’ont franchement pas été très inquiétés, tant la législation est encore imprécise à ce sujet. Aujourd’hui, celle-ci se précise de plus en plus, au point même que le gouvernement lance une mission spécialement dédiée à cette pratique.

Si la loi DADVSI, qui a été adoptée en 2006, n’a pas apporté de solution concrète, le rapport de Denis Olivennes pourrait très bien déboucher sur une loi aux conséquences plus sérieuses.

Des mesures inapplicables pour l’instant

Kazaa P2P

Les adeptes de Kazaa continueront le P2P

Si l’on s’en tient strictement à ce qu’indique le rapport, des mesures draconiennes vont rendre le téléchargement illégal beaucoup plus difficile. Des courriers d’avertissement et de mise en demeure vont avoir pour but de mettre l’internaute en garde, tandis que des sanctions, qui vont de la suspension à la résiliation de l’abonnement, sont assez radicales pour mettre fin à cette pratique. Par ailleurs, comme l’a indiqué Maître Murielle Cahen, d’autres sanctions allant de l’amende dissuasive à la peine d’intérêt général sont également envisageables.

Pourtant, la plupart des mesures préconisées par ce rapport ne sont pas applicables dans l’état actuel des choses. La modification de différentes lois va être nécessaire afin de rendre possible la mise en place de toutes ces dispositions. Il semble difficile de les appliquer dès cette année, et les adeptes du P2P ont donc encore un peu de répit devant eux.

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