La période est aux examens et aux conseils de classe. Même l’élève Christine Albanel, ministre de la Culture, se voit concernée par cette ambiance scolaire : l’évaluation des membres du gouvernement ne l’épargne pas et le Conseil d’Etat lui demande de revoir sa copie sur la riposte graduée. Devra-t-elle suivre des cours de vacances ?

Demain est un grand jour pour le projet de loi Hadopi, censé lutter contre le téléchargement illégal. C’est en effet le 18 juin que sera présenté le texte en conseil des ministres. Tout porte à croire que cet examen avec les membres du gouvernement comportera quelques difficultés. Ce projet de loi, qui reste au fond de la classe depuis la rentrée de septembre dernier, passera son grand oral avant les grandes vacances.
En attendant ce conseil des ministres, le bulletin de Christine Albanel n’est pas des plus brillants. L’Elysée avait demandé, en novembre dernier, à ce que les membres du gouvernement soient évalués au long de leur mission. Le Parisien révèle, grâce à un rapport d’étape dévoilé hier, que la ministre de la Culture serait « en rattrapage » au même titre que Michèle Alliot-Marie et Valérie Pécresse. Après les difficultés rencontrées par son projet de loi auprès des députés européens, de la CNIL, de l’ASIC et autres, c’est au tour du Conseil d’Etat de rendre son avis concernant le texte et le moins que l’on puisse dire c’est qu’Hadopi n’est pas un modèle de transparence.
Parmi la demi-douzaine de modifications demandées par le Conseil, la plus importante concerne le concept même de riposte graduée. Alors que la ministre met l’accent sur le côté préventif de son projet de loi, le texte présenté au Conseil ne stipule pas clairement de gradation de la riposte. Bizarrement, l’Hadopi (Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits dur Internet) n’a aucune obligation de graduer la riposte et peut aller directement à la case sanction sans passer par la case avertissement. Mauvais point pour un projet qui est en préparation depuis plus de six mois, plutôt effrayant quand on sait que cette Hadopi n’a aucune légitimité, ni pouvoir judiciaires. Il faudrait simplement se contenter des bonnes intentions de ce projet, proposé par un dirigeant de la Fnac en concertation avec les majors du disque, sans qu’aucune discussion n’ait été menée avec les autres acteurs d’Internet.
Le Conseil d’Etat remarque justement que cette haute autorité administrative pourrait dangereusement outrepasser son rôle. Le projet de loi prévoit que « L’Hadopi, saisie par les ayants droit, peut ordonner toute mesure propre à faire cesser ou prévenir une atteinte au droit d’auteur ou droit voisin, occasionnée par le contenu d’un service en ligne ». Le champ laissé libre à l’Hadopi a de quoi inquiéter quand on sait que les majors du disque sont derrière. C’est pourquoi le Conseil d’Etat souhaite que l’Hadopi ne soit pas le seul maître à bord et demande le transfert de ce pouvoir à un juge. De plus, le Conseil préfèrerait que les recours des Internautes soient traités par l’autorité judiciaire alors que le projet de loi prévoit qu’ils soient faits devant un tribunal administratif.
Au delà de cette définition trouble sur le rôle réel de l’Hadopi et des dispositions de la riposte graduée, vient s’ajouter le problème des sanctions. Le Conseil d’Etat demande à ce que la durée de suspension d’un abonnement soit ramené à trois mois maximum en cas de transaction avec l’Hadopi. Se pose également la question des responsabilités de coupure d’accès, comme le soulignent nos confrères de PC Inpact. Le texte de loi, tel qu’il est actuellement, pourrait engendrer la coupure d’accès d’une entreprise, d’un hôpital ou d’une ville s’ils se font pirater l’accès par un téléchargeur indélicat.
Ce projet de loi ressemble de plus en plus à un simple prétexte à la création d’une autorité de surveillance des flux au nom d’intérêts privés. La copie rendue au Conseil d’Etat inquiète vraiment sur les motivations qui se cachent derrière ce qu’on veut faire passer pour le sauvetage de la culture.

A la veille de passer son oral devant le conseil des ministres, Christine Albanel se retrouve bien mal en point pour défendre son grand projet. En cette période d’examens, nous lui conseillons vivement de réviser ses cours consacrés à la liberté, à la transparence et à la justice au lieu de bavarder avec ses camarades de classe que sont Universal, Sony BMG, EMI et Warner.
Vu que le texte rendu au Conseil d’Etat est une somme d’inepties, d’inexactitudes, de non-sens voire de danger camouflé derrière des oublis suspects, nous conseillons le redoublement à Christine Albanel. De plus, elle frôle le conseil de discipline pour falsification de bulletin : alors que le Conseil d’Etat remet en cause une bonne partie du projet, la ministre s’était dépêchée de « se félicite[r] de l’avis favorable, rendu le 12 juin 2008 par l’Assemblée générale du Conseil d’Etat sur le projet de loi « Création et Internet » qui lui avait été soumis par le Gouvernement. »