Au moment où les budgets d’investissement pour 2010 sont en train d’être bouclés, les opérateurs de téléphonie mobile, en France et dans les autres pays occidentaux, doivent résoudre une équation économique particulièrement épineuse. Ils sont contraints de dépenser toujours plus dans leurs réseaux, sérieusement menacés de saturation par l’explosion des connexions à Internet via des terminaux mobiles. Mais les revenus qu’ils tirent de ces nouveaux usages n’augmentent pas en proportion. Pis encore : les premiers à profiter de ces dépenses dans des infrastructures plus efficaces risquent d’être les nouveaux géants de l’Internet : Google, Yahoo!, Facebook, voire Apple…

« C’est difficile pour nous d’investir quand les perspectives de gain sont si floues. Nous avons besoin d’un partage des frais raisonnable », affirme Jeff Brueggeman. Le responsable des relations institutionnelles d’AT & T, premier opérateur américain, s’exprimait lors du colloque de l’institut d’études français Idate, où il fut beaucoup question, les 18 et 19 novembre à Montpellier, du sujet.

Tous les opérateurs le constatent : le trafic de données sur les réseaux mobiles s’envole. « Il double d’une année sur l’autre », selon Frédéric Pujol, de l’Idate. Chez SFR, il a été multiplié par quatre entre fin 2008 et fin 2009. En cause : l’énorme succès des téléphones multimédia, du type iPhone d’Apple commercialisé depuis juin 2007 (plus de 30 millions écoulés dans le monde). « Ces terminaux consomment encore assez peu de débit, mais ils mobilisent beaucoup le réseau, en envoyant en permanence des informations de signalisation », explique M. Pujol. Les « clés 3G » qui, branchées sur un ordinateur portable, lui permettent de se connecter à Internet via le réseau mobile, y sont aussi pour beaucoup (1,7 million d’entre elles était en circulation dans l’Hexagone au 30 septembre). « Leurs utilisateurs consomment dix fois plus de trafic qu’un client mobile lambda », dit-on chez SFR.

Au point que les réseaux commencent à saturer. « On est en train de voir sur le mobile ce qu’on a vécu entre 2000 et 2002 sur le réseau fixe : les besoins commencent à excéder les débits disponibles », confie-t-on chez l’un des trois opérateurs mobiles français.

Aux Etats-Unis, AT & T, distributeur exclusif dans le pays de l’iPhone, a eu des soucis cet été, notamment pour l’accès aux services de télévision via les mobiles. Les câblo-opérateurs américains, comme Time Warner Cable, auraient aussi du mal à suivre. En France, certains dégraderaient ponctuellement le service pour les clients trop gourmands, afin de continuer à assurer les connexions de tous les mobiles présents, dans une même zone très fréquentée (plus il y a d’utilisateurs dans une zone couverte par une antenne-relais, plus les débits diminuent). « C’est difficilement tenable, question d’image », avoue M. Pujol.

Mais globalement, les opérateurs ne se laissent pas déborder : ils adaptent leur réseau en permanence. Les solutions ne manquent pas. Il y a d’abord la ressource hertzienne, qui reste correcte. En France par exemple, pour transporter les communications par voie radio (entre le terminal mobile et les antennes-relais), Orange (France Télécom), SFR et Bouygues Telecom disposent chacun de trois canaux de fréquences de 5 mégahertz (MHz) dans la bande de fréquence des 2,1 gigahertz (GHz). « Pour l’instant, un seul des canaux voire deux dans les zones denses sont utilisés« , selon Laurent Fournier, du fabricant de composants pour mobiles Qualcomm. « Densifier le nombre d’antennes-relais, c’est difficile avec le débat sur leur nocivité supposée. Alors on maximise l’utilisation des fréquences en rajoutant dans les antennes-relais des fonctionnalités logicielles fournies par les équipementiers. On déploie ainsi le HSPA qui permet des débits de l’antenne-relais vers le téléphone d’au moins 14 mégabits par seconde (Mbps) contre 2 Mbps jusqu’alors » confie un technicien chez Orange.

Les opérateurs redimensionnent aussi, avec de la fibre optique, la liaison entre les antennes-relais et le réseau terrestre de collecte. Et « boostent » ce dernier en ajoutant des routeurs encore plus puissants. Il y a enfin l’alternative des réseaux mobiles de quatrième génération (4G), avec notamment le protocole LTE (long term evolution), qui permettra des débits vingt fois supérieurs. Il est testé aux Etats-Unis par AT & T et Verizon. Au Japon, NTT veut lancer une offre commerciale dès 2010.

Ces montées en débit coûtent cher. SFR a investi 1,4 milliard d’euros en 2008 pour son réseau. Le britannique Vodafone, 10 milliards d’euros depuis 2005. Selon la presse allemande, la facture serait si salée aux Etats-Unis que l’allemand Deutsche Telekom chercherait un partenaire pour sa filiale de téléphonie mobile T-Mobile USA.

Or, pour les opérateurs, difficile de se rattraper sur la facture de l’abonné. Dans le contexte de crise économique, le risque serait d’en perdre ou de casser la croissance de l’Internet mobile. Certains opérateurs comme Orange proposent leurs propres services en ligne (portail, collecteurs d’information, TV mobile, etc.) pour tirer davantage parti de leurs « tuyaux ». Mais les revenus générés (publicité et abonnements) restent faibles. Très loin du chiffre d’affaires qu’un Google (21,8 milliards de dollars en 2008) réalise, grâce aux revenus publicitaires tirés de l’énorme audience de son moteur de recherche.

C’est là que le bât blesse : les opérateurs reprochent aux géants de l’Internet, qui profitent à plein de l’explosion des débits, de ne pas suffisamment contribuer au financement des réseaux. L’intervention de Michel Combes, patron Europe de Vodafone, aux journées de l’Idate, est éloquente : « Les grands gagnants sont les moteurs de recherche en ligne. Ceux qui investissent, les médias et les télécoms, sont trop souvent perdants. » Pour Didier Lombard, le PDG de France Télécom, « il faut trouver un partage équitable entre les acteurs pour que les investissements se fassent ».

Le choc des titans entre télécommunications et sociétés du Web aura-t-il lieu ? Pas sûr. Google et consorts ont tout intérêt à s’entendre avec les pourvoyeurs de « tuyaux » : ils perdraient beaucoup si, faute d’investissements, la qualité des réseaux se dégradait. « Les sociétés Internet semblent comprendre la nécessité de trouver des mécanismes qui évitent que les réseaux ne soient trop engorgés », selon Antoine Pradayrol, analyste chez Exane BNP Paribas.

:Source:

Les commentaires sont désactivés.