Les périodes de perturbations économiques déclenchent des destructions d’emplois. Que l’entreprise arrête d’embaucher ou licencie, la quantité de ressources disponibles pour l’accomplissement des tâches diminuent.

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Nous savons que si les scénarios prévoient une baisse d’activité, l’organisation doit prendre des mesures d’allégement de ses charges récurrentes et donc des salaires. L’incohérence des mesures de licenciement massifs dans des entreprises dont les résultats augmentent est suffisamment souligné pour savoir que les organisations n’attendent évidemment pas d’être confrontées à une baisse d’activité pour mettre en œuvre un plan de départs. On comprend bien alors que ceux qui restent devront travailler plus pour permettre à l’organisation de continuer à assurer le volume d’activité.

Que l’on parle de licenciements collectifs ou de hausse du chômage, les victimes de l’un ou de l’autre de ces phénomènes font l’objet d’une attention particulière qu’elle soit médiatique, collective, étatique, individuelle… Par contre, que fait-on des nombreux individus qui vont rester dans l’organisation quand les autres seront partis ? De fait, une crise provoque des secousses et, si tous ne meurent pas, tous sont touchés (1).

Symptômes et conséquences

Les différentes théories des organisations s’accordent sur le fait qu’il existe un lien permanent entre l’efficacité d’une structure et ce qui se passe dans la tête des individus la constituant.

Selon Crozier (1977) (2), l’action humaine est une réponse non rationnelle à une série d’opportunités provoquant une série de comportements de coopération ou de non- coopération. Eric Berne (1963) (3) apporte un éclairage supplémentaire en démontrant le lien entre d’une part, la production du groupe et d’autre part, l’état d’esprit de ses membres en fonction de l’écart existant entre ce qu’ils veulent que le groupe soit et ce que le groupe est en réalité. On peut dès lors accepter l’hypothèse selon laquelle ce qui se passe dans l’esprit des individus à au moins autant d’importance dans la production que l’ensemble des moyens matériels mis à sa disposition pour produire.

En fait deux phénomènes se produisent quand une personne se trouve face à un surcroît d’activité lié à une baisse du nombre de ressources, et à une modification dans son environnement direct de travail.

Le premier phénomène est d’ordre opérationnel et individuel, et visible directement en observant l’activité. L’individu se trouve de plus en plus occupé par un grand nombre de tâches : envoyer des e-mails depuis son ordinateur de bureau et son Black-Berry, répondre en même temps à de nombreuses sollicitations, se déplacer, participer à des réunions, et faire son travail.

Le psychiatre américain Edward Hallowel (2007) (4) a étudié l’impact du syndrome ADD (Attention Deficit Disorder) sur les populations de managers.
Comme ce syndrome n’est ni une maladie, ni un désordre, il ne fait pas l’objet d’une attention particulière. Selon Hallowell, le fait d’être multitâche serait même favorisé par l’environnement social moderne, de l’école à l’entreprise. Le fait est que comme tout syndrome, le Trouble Déficit de l’Attention – en français – est visible au travers de symptômes bien connus et provoque une baisse réelle des performances individuelles.

Voici quelques symptômes remarquables chez le manager sous ADD :

  • impulsivité, hyperactivité, impatience, facilement irrité, frustré. Sautes d’humeur, surtout quand dérangé lors d’une activité ;
  • inattention, difficulté de se concentrer pour une période prolongée, moments d’absence, rêveries, difficulté à se mettre au travail ;
  • trop de choses en tête à la fois, commence trop de choses à la fois sans les achever. Difficulté de suivre les procédures établies ;
  • se fait du souci pour beaucoup de choses inutilement, manque d’organisation, sentiment d’insécurité, sentiment de manque de réalisation de soi…

Le deuxième phénomène est d’ordre organisationnel et collectif et peut demeurer invisible durant une longue période de temps. En effet, chaque modification dans l’environnement direct de travail (départ d’un collègue par exemple) nécessite de la part de chacun des membres d’une équipe un effort d’ajustement de la représentation mentale qu’il a de l’équipe avec cette nouvelle réalité. Cet effort nécessitant une grande énergie, de nouveaux modes de relation entre les membres vont apparaître, qui vont bouleverser jusqu’à la qualité et la quantité de production de l’équipe. Gilles Pellerin (1994) (5) a mis en relation la productivité et les processus d’équipe, et découvert que toute modification d’ordre structurelle provoque de façon certaine une modification de la productivité.

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Conséquences : la violence comme adaptation au stress

Selon le chercheur Hans Seyle (1975) (6), le stress constitue une adaptation de l’organisme à une pression de l’environnement. Ni positif, ni négatif, le stress est signe de vie. C’est la qualité et l’intensité de l’adaptation à la pression environnementale qui provoque l’impact positif ou négatif.

Dans le cas qui nous occupe, la réaction souvent constatée est la violence. Bien entendu, elle ne prend que rarement la forme de violence physique. Par contre, elle implique des comportements très dommageables à la structure : démotivation, désengagement, refus de coopérer, maladie et, à l’extrême, suicide. Ces conséquences ne sont pas une fatalité. Comme les symptômes sont visibles et les conséquences dommageables, il est de la responsabilité de l’organisation (7) d’intervenir au plus tôt pour permettre l’expression de ces tensions individuelles.

Le conflit comme unique alternative à la violence

On me demande souvent d’intervenir en formation ou en coaching autour de la thématique de la gestion des conflits. Et bien, ce sont les conflits qui permettent d’éviter la violence. De fait, l’expression de nos sentiments, opinions, réactions, pensées à propos d’une douleur, en face de la personne détenant l’autorité, donc que nous considérons comme responsable, au moins en partie, de ce qui nous arrive, déclenchera systématiquement un conflit et c’est pour cette raison que nous évitons justement d’exprimer ce que nous avons sur le cœur.

Un reflexe naturel de l’organisation consiste à éviter que les individus ne s’expriment, et surtout ne parlent ensemble. C’est pourquoi, malgré un surcroît évident d’activité, l’espace « machine à café » ne désemplit pas. C’est que cet espace demeure un des rares endroits d’expression avec des semblables touchés par la même maladie, avec l’assurance de parler entre personnes de même condition et le secret espoir que le message sera enfin relayé au plus haut niveau sans être frontalement impliqué dans le conflit.

Nous avons une tendance naturelle à nous sentir victime, du chef, du système, de la mondialisation et pour qu’il y ait violence il faut qu’il y ait victime. Par conséquent, dès qu’il y a victime, il y a violence (8). C’est pour éviter de se sentir vulnérable que l’individu en milieu organisé va mettre en œuvre des comportements limitant la visibilité de sa vulnérabilité, par exemple en étant agressif ( La meilleure défense c’est l’attaque), manipulateur (Ils sont assez grands pour comprendre, Ce  n’est pas à moi d’expliquer au chef ce qu’il devrait savoir de lui-même) ou par la fuite (Pourvu qu’on m’oublie). Malgré ces stratégies, l’individu se sentira victime et va donc transférer l’énergie de ses ressentis vers lui-même, la structure, d’autres individus…

Les solutions

Bien entendu, la première réponse ne peut être qu’organisationnelle en modifiant la structure pour lui permettre de faire face à l’activité avec une quantité de ressources diminuée.

Comme vu précédemment, toute modification dans la structure implique l’émergence de tensions et on comprend bien que, dans cette situation, les managers auront moins de temps pour assurer la partie humaine de la réorganisation.

Pour autant, il est nécessaire dans ces périodes de permettre avant tout l’expression individuelle et collective par l’organisation d’entretiens individuels, de réunions d’information, de groupes de réflexion, etc. Tous types d’événements que l’organisation peut prendre en charge et qui permettront de retisser du lien social entre des individus inquiets de leur devenir, de leur santé même est une organisation dont le seul objectif ne peut pas être la survie mais plutôt de continuer à maximiser sa production.

Bien entendu, ces pratiques doivent être encadrées par des professionnels de la relation humaine, qu’ils soient internes à l’organisation comme les spécialistes des ressources humaines mais aussi les managers formés à l’animation de ce type d’événements, ou externes comme des coachs dont l’impartialité et la confidentialité permettent aux individus de se sentir en confiance plus rapidement.

En cette période de contrôle assidu, voire de réduction des dépenses, cette position peut sembler inadéquate. Pourtant, le gestionnaire pourra considérer qu’une dépense de ce type est  à mettre en perspective avec les conséquences financières des effets des phénomènes humains d’adaptation à une situation de crise.

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